C’est en tombant sur les articles du site Saigoneer que l’idée m’est venue de reproduire les mêmes photos de l’époque. J’ai passé des heures à sélectionner les photos qui m’interpellaient, à retrouver les lieux où elles avaient pu être prises ; j’ai ensuite sauvegardé les photos dans mon téléphone et les lieux sur ma carte, avant de partir me balader dans Saïgon à la recherche des mêmes angles ou des mêmes ambiances.
Entre traditions conservées et bouleversements urbains, cet exercice m’a permis de découvrir une autre facette de la ville et de me reconnecter avec mon quotidien, en lui donnant une toute autre dimension.
Je dois dire que je suis assez satisfaite du résultat ! C’est tellement curieux de voir à quel point les bâtiments et les modes de vie restent intacts après toutes ces années. J’espère que ce voyage en images dans le temps vous plaira autant que j’ai pris plaisir à le réaliser. Bonne visite !
En 1904, la totalité de Saïgon était confinée à la zone que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de District 1. Hormis le centre-ville soigneusement planifié et la ville commerçante animée de Cholon (quartier chinois), les régions périphériques de la ville étaient envahies de marécages et d’épaisses étendues de végétation.
Dans cette collection de photos en noir et blanc dont je n’ai pu retrouver les noms des photographes, le Saïgon du début du siècle apparaît sauvage et vierge de toute urbanisation. Pourtant, c’est à cette époque que débutent les premières étapes des plans de l’administration française pour apprivoiser la nature sauvage du sud du Vietnam, comme par exemple le chemin de fer trans-indochinois, qui reliait Hanoï à Saïgon.
La rivière de Saïgon n’a pas beaucoup changé en l’espace de 116 ans : on trouve d’ailleurs toujours les sampans, un type de bateau utilisé pour la pêche ou comme habitation flottante. Les rives se sont par contre beaucoup développées et continuent d’être exploitées, comme on peut le voir ci-dessous avec la construction de trois nouvelles tours en face du District 1.
Je n’ai pu retrouver le lieu de la photo d’origine, mais je n’ai pas pu m’empêcher de faire le parallèle avec les nombreux fours à briques qu’on peut trouver dans le delta du Mékong, au sud de Saïgon, notamment dans la province de Ben Tre. Ces fours à briques servent à cuire… des briques ! Les briques sont façonnées à partir d’argile extraite sur les berges du fleuve, avant d’être disposées méticuleusement et à la main, une par une, dans ces immenses fours. Il faut parfois une semaine pour remplir un four, les briques pouvant atteindre le toit, et leur capacité peut atteindre jusqu’à 19 tonnes ! La cuisson dure environ 25-30 jours et le feu est maintenu grâce aux cosses du grain de riz, beaucoup moins coûteuses que le bois ou le charbon. Après la cuisson, les cendres sont utilisées pour en faire du fertilisant et les briques bien cuites sont laissées refroidir avant de sortir du four. Force est de constater que cette méthode traditionnelle de cuisson est restée intacte.
À cette époque, le Vietnam était plongé depuis quatre décennies sous le règne des colonisateurs français qui ont divisé le pays tel que nous le connaissons aujourd’hui en trois protectorats : Tonkin (nord du Vietnam), Annam (centre du Vietnam) et Cochinchine (sud du Vietnam). Au début des années 1920, le centre de Saïgon était un quartier immaculé avec des rues propres et des boutiques glamour. Malgré le faste et le glamour de Saïgon comme le montrent ces photos, la richesse et le confort n’étaient appréciés que par les Français et une petite partie de Vietnamiens bien nantis impliqués dans l’administration coloniale.
Cette incroyable série de photos a été prise par le photographe français Ludovic Crespin au début des années 1920. Elle offre un aperçu inestimable de l’Indochine française à cette époque, et il est amusant de constater que les bâtiments n’ont quasiment pas changé d’un pouce.
L’Hôtel de ville ou siège du Comité populaire d’Ho Chi Minh-Ville est un palais de style Beaux-Arts, construit par l’architecte français Paul Gardès de 1902 à 1908. Il est aujourd’hui illuminé par les services d’éclairage de la ville de Lyon. Il n’est malheureusement pas ouvert aux visites, mais il est difficile de ne pas passer devant quand on visite la ville, puisqu’il domine l’immense avenue Nguyễn Huệ.
Le bâtiment de l’ancien Secrétariat général du gouvernement de la Cochinchine, au coin des rues Đồng Khởi et Lý Tự Trọng, est lui aussi resté intact.
La Cathédrale Notre-Dame de Saïgon fut construite par les Français de 1877 à 1880 et marque le début de la rue Đồng Khởi, qui descend jusqu’à la rivière. Elle est actuellement en rénovation et devrait rouvrir ses portes aux fidèles et aux visiteurs en 2021.
Cette photo a été prise à l’intersection des rues Catinat, aujourd’hui appelée Đồng Khởi, et Mạc Thị Bưởi. Dans cette célèbre rue, de nombreuses enseignes font référence à l’héritage colonial français, comme le restaurant Le Bourgeois (nº132), l’hôtel Catina Saigon (nº109), où encore la chaîne de café Katinat au nº91 (le bâtiment à volets à droite ci-dessous).
Bouleversement à l’intersection des rues Đồng Khởi (ancienne rue Catinat) et Lý Tự Trọng (ancienne rue Lagrandière). Le coin est désormais bordé de boutiques, restaurants, cafés… et c’est l’un des croisements les plus fréquentés au centre-ville. Pour mieux s’en rendre compte, faites l’expérience de passer un moment à la terrasse du
Cộng Cà Phê situé au premier étage avec vue sur le passage, c’est presque étourdissant !
Un autre angle de vue sur l’Hôtel de ville, par un photographe anonyme, en 1938-39. Depuis, une immense statue de Hô-Chi-Minh assis à côté d’un enfant trône dans le parc, comme pour veiller sur la ville.
Jack Birns est un photographe américain qui a pris des photos dans plusieurs pays asiatiques en 1947-48 via un contrat avec
LIFE. Cette série de photos en noir et blanc capture l’intrusion coloniale française dans la vie traditionnelle vietnamienne, créant des dichotomies visuelles intéressantes.
L’ancienne fontaine sur l’avenue Nguyễn Huệ a été légèrement éloignée par rapport à l’Hôtel de ville, et clairement modernisée.
À droite, l’ancien boulevard Lê Lợi avec des bannières annonçant des projections de cinéma en français ; à gauche, le même boulevard, sans aucun charme et en plein chantier depuis des mois…
Prendre le temps d’un café fait toujours autant partie du quotidien…
Cette première série de photos a été prise par Thomas W. Johnson, un aumônier assistant travaillant au US 3rd Field Hospital à Saïgon dans les années 1960.
Le nouvel an vietnamien, Têt, est la fête la plus célébrée au Vietnam. Chaque année en janvier-février (les dates varient en fonction du calendrier lunaire), les Vietnamiens fleurissent leurs maisons et leurs commerces. À Saïgon, c’est au bord des canaux des districts 14 et 15 dans le sud de la ville qu’on peut s’extasier devant les étalages de fleurs et d’arbres fruitiers, qui sont remontés par bateau depuis le delta du Mékong, terre fertile.
Il y a bien des choses qui ne changent pas ! Saviez-vous que la sieste était sacrée au Vietnam ? Après le déjeuner, tout le monde est au ralenti, les employés étendent une natte sous leurs bureaux et les chauffeurs de taxi en font de même, avec les moyens du bord ! La casquette a remplacé le salacot (casque colonial) et la moto a remplacé le cyclo-pousse, mais il semblerait que les chaussures soient toujours inutiles !
Tout premier hôtel au Vietnam, l’Hôtel Continental de Saïgon a été construit en 1878-1880 par Pierre Cazeau, un industriel français. L’hôtel sera ensuite rénové en 1892, vendu, rebaptisé plusieurs fois pendant la guerre du Viêt Nam, entièrement restauré de 1988 à 1989 pour enfin rouvrir ses portes en 1989 sous le nom d’Hôtel Continental. Le Continental a notamment tenu une place importante dans la vie sociale et politique de Saïgon à l’époque coloniale française. Pendant la guerre du Viêt Nam, il était surnommé Radio Catinat, car c’était le point de rendez-vous où les correspondants, les journalistes, les politiciens et les hommes d’affaires parlaient de politique, d’actualité économique et d’actualité.
Si la façade de l’hôtel n’a pas changé, on peut noter les nouvelles constructions qui l’entourent, comme les centres commerciaux Parkson Saigon Tourist Plaza et Vincom Center en arrière-plan.
Le dur travail de balayeuses dans les rues saïgonnaises reste apparemment en 2020 une affaire de femmes…
Autre cliché quotidien dans les rues de Saïgon, ce sont les vendeurs de nourriture ambulants.
À gauche, un trio de dames dans leurs habits du dimanche se promènent sur le trottoir de la rue Lê Lợi en áo dài (la tenue traditionnelle des Vietnamiennes), lunettes de soleil et coiffures tendance. À droite, trois jeunes filles en tenue moderne portent un masque (Covid oblige). Le port du áo dài est aujourd’hui réservé aux occasions et aux cérémonies, quel dommage ! On est d’accord que les femmes avaient beaucoup plus de classe dans les années 60 ?
Cliché de George Muccianti avec vue sur la Poste centrale de Saïgon, construite entre 1886 et 1891 par l’administration des Postes françaises, à l’époque de l’Indochine française. La magnifique charpente métallique qui abrite le bureau de poste principal du centre-ville fut conçue par Gustave Eiffel.
La série suivante a été prise par le militaire américain Bruce Baumler en 1965.
Cliché du magnifique temple hindouiste dédié à la déesse Mariamman sur la rue Trương Định. Construit à la fin du 19ème siècle par des négociants tamouls venus du comptoir français de Pondichéry installés à Saïgon. La plupart d’entre eux ont dû fuir le Viêt Nam pendant la guerre et à la chute de Saïgon. Fermé par les autorités en 1975 pour en faire un entrepôt, il a ensuite été rendu au culte en 1993 grâce à des négociations diplomatiques entre l’Inde et le Vietnam. On remarque que la structure supérieure du temple a été ajoutée depuis 1965.
Cette photo a été prise dans la rue Phan Bội Châu près du célèbre marché Bến Thành. Construit à l’époque coloniale française, il a souvent été rénové, mais l’architecture globale est restée. C’est aujourd’hui le marché le plus touristique de la ville et on y trouve des tas de souvenirs à négocier, des étalages de fruits, légumes, poissons et viandes, mais aussi des petits étals pour déguster un jus de fruits frais, un bol de phở ou des fruits de mer.
Un autre angle de vue depuis l’Opéra de Saïgon sur l’Hôtel Continental à droite et l’ancien centre commercial Eden Department Store à gauche, aujourd’hui en rénovation sous l’enseigne Vincom.
Cliché d’un photographe anonyme de l’historique Hôtel Majestic 5*, conçu par un homme d’affaires chinois en 1925, dans le style des hôtels de la Côte d’Azur. De même que l’Hôtel Continental, il changera plusieurs fois de nom pour tenter d’effacer le souvenir colonial.
Ces photos ont été prises en 1966 par le militaire américain Rich Krebs, qui a involontairement préservé les souvenirs collectifs d’une génération d’habitants de Saïgon lors de son passage.
Le parc Chi Lăng sur la rue Đồng Khởi est désormais un parterre qui semble minuscule devant l’imposant centre commercial Vincom Center. Je suis particulièrement fière d’avoir pu reproduire la composition de la photo originale. Pour la petite anecdote, je me suis arrêtée en me disant « la chance, il y a un vélo ! il remplacera les deux scooters de l’époque » et en me préparant pour prendre la photo, un chauffeur de taxi Grab est passé sous mon nez à toute allure et j’ai eu le bon réflexe !
Au croisement des rues Lê Lợi et Nguyễn Huệ devant l’Hôtel de ville : la rue Lê Lợi est actuellement en rénovation, ce qui explique le trafic quasi inexistant comparé à l’époque.
Le photographe vietnamien Nguyen Thanh Tai travaillait pour l’agence de presse américaine United Press International (UPI). Ses photos en noir et blanc sont un changement par rapport à ses œuvres les plus connues pendant la guerre américaine. En 1967, une femme propose aux passants un bún thịt nướng pour un déjeuner sur le tas. À droite, une femme dans la même posture vend des boissons et des glaces.
Le développement urbain de Saïgon n’a pas que du bon. Par opposition aux nouveaux projets de construction en cours, la ville ne semble jamais devenir un projet fini et continue de laisser pour compte les habitants les plus pauvres. Sur cette photo capturée par Dave Teer entre 1967 et 1969, on reconnaît les maisons sur pilotis qui existent malheureusement toujours aujourd’hui sur la rivière Saïgon. Ce sont des logements insalubres, de vrais bidonvilles, fabriqués à partir de bois ou de bambou, avec une simple tôle métallique pour toiture.
Le photographe Brian Wickham s’est rendu à Saigon en 1968 et 1969, produisant plus d’une centaine de photos de divers endroits de la ville, à la fois célèbres et mondains. Celle-ci représente la traversée de la rue Nguyễn Du par un groupe d’écoliers. Je n’ai pas retrouvé l’endroit exact où a été prise la photo, alors je me suis contentée de repérer le même panneau d’affichage de la rue, et d’attendre que quelqu’un traverse !
Cet autre cliché des toitures dans le District 1 met en parallèle la diversité architecturale de Saïgon : maisons-tubes, petites maisons accolées les unes aux autres avec des toits de tôle ou de briques, grattes ciels modernes…
Le militaire américain Darryl Henley était stationné au Vietnam à la fin des années 1960, et a pris cette photo de l’avenue Nguyễn Huệ. Le bâtiment central est devenu une icône de la ville, renommé The Cafe Apartments au 42 Nguyễn Huệ. Chaque étage abrite tout un tas de boutiques, cafés, restaurants… très hipster et fréquenté par la jeunesse vietnamienne.
Dans ces quelques photos prises en 1969-70, le vétéran de l’armée américaine D. Hoag a capturé un Saïgon cool et chaotique.
Je n’ai aucune idée à quoi servait ce bâtiment au coin des rues Pasteur et Nguyễn Du, mais c’est aujourd’hui un jardin d’enfants coloré, au 178/1 rue Pasteur.
Les marchés de rue vendant des souvenirs sur l’avenue Nguyễn Huệ ont laissé place aux magasins de haute-couture comme Chanel et Cartier.
La série de photos qui suit est une rare collection d’archives trouvée encore une fois sur le site
Saigoneer, un mic-mac de souvenirs personnels de touristes, de soldats étrangers et même de photojournalistes.
Ce photographe anonyme nous montre un bazar de fortune sur le trottoir de la rue Lê Lợi. Celle-ci étant en grande rénovation, on ne trouve quasiment plus de vendeurs de rue, seuls quelques étals persistent.
Encore un cliché de la célèbre rue Đồng Khởi en 1979.
Cette autre photo de bouquinistes a été prise en 1979 dans la rue Đặng Thị Nhu. N’ayant pas retrouvé la même atmosphère dans la même rue, je me suis inspirée de la rue des libraires (Nguyễn Văn Bình), située à deux pas de la Poste centrale. Cette rue bucolique est bordée de petites librairies et d’agréables cafés où bouquiner au calme, un havre de paix en plein cœur de la ville.
À son arrivée à Saïgon en 1990, Catherine Karnow a été présentée à des légendes locales telles que le général Vo Nguyen Giap par son père, l’historien Stanley Karnow. Au cours des 25 dernières années, elle a continué à exercer son métier de photographe au Vietnam avec des résultats spectaculaires. Son Instagram:
@catherinekarnow.
Ce cliché montre bien la préservation de certains bâtiments de l’époque coloniale française : cette jolie maison jaune au 93-95-97 de la rue Đồng Khởi est désormais un restaurant gastronomique de cuisine vietnamienne, le Vietnam House Restaurant.
Un autre angle de vue sur l’Hôtel Continental. L’anciennement célèbre Café Givral au coin de la rue n’existe plus aujourd’hui…
Ces photos ont été prises par le photographe allemand Hans Peter Grumpe lors de ses visites à Saïgon entre 1991 et 1993. Bien que la ville ait manqué de charme au cours de ces années, le cœur de la vie quotidienne ne semble pas avoir beaucoup changé : les vendeurs de rue avec leurs marchandises, salons de coiffure ambulants, groupes d’amis en pleine conversation, cuisson à la vapeur dans les rues… tout ce que nous voyons encore tous les jours dans les rues de Saïgon, et qui finalement, en fait tout son charme !
En témoigne cette comparaison qui prouve bien que manger un bol de phở dans la rue reste un indémodable dans la vie quotidienne des Vietnamiens ! La seule différence est que les tabourets en plastique bleu et rouge ont remplacé ceux en bois.
Tout comme se faire couper les cheveux dans la rue ! Si les femmes préfèrent se rendre dans les salons de coiffure, les hommes continuent de faire appel aux barbiers ambulants. Bon, je dois être honnête avec vous… j’ai pris cette photo à Hanoï l’année dernière, le mur est celui qui entoure le Temple de la Littérature.
En bonus, une série de photos dont je n’ai retrouvé ni la date, ni l’auteur, mais comme ce sont tous des bâtiments phares de la ville, je me suis dit que j’allais quand même les inclure dans cette (longue) liste.
La magnifique façade jaune de la Poste centrale de Saïgon, construite entre 1886 et 1891, semble avoir été préservée.
Inspiré de l’architecture du Petit Palais de Paris, l’Opéra municipal de Saïgon a été construit en 1900. Suivant le modèle gothique, la façade du bâtiment a été décorée d’inscriptions et de reliefs (comme l’Hôtel de ville). Pendant la Guerre du Vietnam, ce théâtre a été le siège du parlement de la République du Vietnam. L’Opéra n’est malheureusement pas ouvert aux visites, mais vous pouvez assister tous les soirs à une représentation de cirque vietnamien de la troupe
Lune Production. Les tarifs sont assez élevés (à partir de 700,000 VND soit 26€), mais la qualité des spectacles culturels proposés est incroyable.
Un autre angle de vue sur le majestueux Hôtel Majestic.
Merci d’être arrivé jusqu’ici, j’espère grandement que ce voyage dans le temps vous aura plu !